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Les feuilles d’automne

 » The falling leaves drift by the window
The autumn leaves of red and gold … »

Autumn leaves – Frank Sinatra

Du jaune doré du ginkgo au rouge profond de l’érable, les arbres arborent chaque année leurs couleurs chaudes ravissant le promeneur lors de ses balades automnales. Derrière ce tableau esthétique, l’arbre, lui, se prépare à l’hiver qui s’annonce. Pour les curieux, ces paysages posent plusieurs questions : pourquoi les arbres perdent-ils leurs feuilles? Pourquoi observe-t-on ces couleurs : rouge, orange, jaune? Pourquoi certains arbres perdent leurs feuilles (les arbres à feuilles caduques ou caducifoliés) et d’autres non (les sempervirents)? En tout cas, ce sont les questions que je me suis posées et pour y répondre, j’ai fait appel aux connaissances de mes collègues du laboratoire Ecologie, Systématique et Evolution de l’université Paris Sud :  Zoran Cerovic, chargé de recherche du CNRS, Elena Granda et Alice Delaporte, respectivement post-doctorante et jeune docteure, tous trois spécialistes de l’arbre.

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Couleurs typiques de l’automne, du jaune au violet

Pour comprendre ce qui se passe dans l’arbre en automne, il faut se mettre un  peu dans son écorce. A mesure que la saison avance, la température et la durée du jour diminuent rapidement. Ces deux contraintes sont cruciales pour comprendre pourquoi l’arbre change de couleur et perd ses feuilles en automne. Le froid qui s’installe peut s’avérer problématique pour les tissus de l’arbre, notamment à cause du gel qui peut endommager les vaisseaux conducteurs de sève. Si vous vous souvenez de vos cours d’SVT, la sève brute, celle contenant les minéraux et l’eau nécessaire à la survie des tissus, circule dans des vaisseaux appelés xylèmes. Or, nous en avions déjà parlé ici, la sève brute circule dans l’arbre grâce aux feuilles qui agissent comme des « pompes » et aspirent l’eau vers le haut de l’arbre. Avec le gel, ces vaisseaux peuvent « caviter » (c’est à dire que le flux tendu de sève se brise, et donc ne peut plus monter) ce qui les rend inutilisables pour l’arbre et peut entraîner sa mort.

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Le froid de l’hiver peut sonner le glas-glas pour un arbre…Oui, j’ai un peu honte de cette blague.

En plus du froid, la durée de l’ensoleillement diminue, et donc l’activité photosynthétique au niveau des feuilles tombe en flèche. Le coût d’entretien de la canopée se retrouve supérieur au gain qui découlerait d’une activité photosynthétique hivernale. Donc si on fait le bilan : le froid peut engendrer des dégâts irréversibles sur les tissus conducteurs, et la photosynthèse en hiver n’est pas rentable. Conclusion : autant suicider ses feuilles et les problèmes sont résolus : plus de circulation de sève dû au pompage par les feuilles, ni de coût d’entretien de feuilles inutiles en hiver. Banco, on comprend un peu mieux pourquoi les arbres perdent leurs feuilles en automne. Et on comprend également pourquoi ce phénomène de chute massive ne se produit que chez les arbres aux latitudes tempérées (aux autres latitudes, les arbres perdent aussi leurs feuilles, mais cette fois-ci en fonction du vieillissement des tissus)! Cependant, on ne sait toujours pas pourquoi avant de se décrocher, les feuilles changent de couleur.

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Et bien le suicide foliaire n’est pas fait sans préparation. En effet, les feuilles sont des tissus dans lesquels beaucoup de ressources sont investies au printemps. Azote, phosphore et autres nutriments y sont en concentrations importantes. Or, la nature a horreur du gaspillage. Les nutriments, notamment l’azote qui est un élément crucial, sont récupérés avant la chute foliaire par un phénomène que l’on appelle « remobilisation ». Toutes les protéines et autres éléments vont être démontés en petites briques pour repartir dans l’arbre et être stockés dans les branches, dans le tronc, ou dans les racines, où ils passeront l’hiver dans des cellules de réserve. et c’est cette déstructuration qui va faire changer les feuilles de couleur !

Parmi les protéines détruites, on trouve la chlorophylle. La chlorophylle est un pigment qui permet de capturer la lumière du soleil et d’effectuer la photosynthèse. Comme vous l’aurez deviné, c’est ce pigment qui confère aux végétaux leur robe verte. Mais ce n’est pas le seul pigment qui existe ! D’autres pigments, appelés « accessoires », sont présents dans les cellules de feuilles et jouent différents rôles (contribuent à la photosynthèse et/ou à la protection des feuilles contre un trop-plein de lumière etc), comme les caroténoïdes par exemple…Et bien sûr, les caroténoïdes sont des pigments qui vont du jaune à l’orange (vous l’aurez deviné, les carottes sont pleine de caroténoïdes, d’où le nom du pigment). Nous y voilà donc, la couleur jaune-orangée des arbres en automne est simplement due à la révélation des caroténoïdes après la destruction de la chlorophylle.029E017005918354-c1-photo-oYToxOntzOjE6InciO2k6NjcwO30=-carotte

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La carotte et les feuilles jaunes-oranges partagent les pigments de type caroténoïdes !

D’autres couleurs, comme le rouge, que l’on peut notamment observer chez l’érable ou le chêne rouge sont dus à la production d’autres pigments : les anthocyanes. Contrairement aux caroténoïdes qui sont révélés par l’absence de chlorophylle, les anthocyanes sont eux produits activement en automne pendant la « mort » de la feuille. J’entends déjà la question « mais à quoi ça sert de produire des pigments alors que la feuille va tomber? » et bien il existe deux grandes hypothèses, pas forcément contradictoires et probablement plus ou moins valides selon l’espèce : la première est une protection des cellules contre la photo-oxydation (phénomène qui peut abîmer les molécules sensibles comme l’azote ou certains composés contenant du phosphore) qui permet de maximiser la remobilisation des nutriments, et l’autre hypothèse est un signalement honnête aux insectes parasites (notamment les pucerons) de la pauvre qualité nutritionnelle des feuilles sénescentes qui iront donc pondre leurs œufs (qui écloront au prochain printemps) sur d’autres arbres.

 Il existe une dernière couleur que l’on n’a pas encore abordé : le brun, qui est la dernière couleur arborée par la feuille. Celle-ci est due à une oxydation (transformation d’une molécule en une autre quand il y a contact avec l’oxygène) de certaines molécules, les flavonoles si vous voulez tout savoir, qui vont finir en quinone, qui est une molécule conférant la couleur brune.  A ce niveau là, la feuille est souvent sur le sol prête à être complètement décomposée par la faune habitant l’humus…Ce qui nous amène au point suivant : les arbres récupèrent leurs azotes par la « remobilisation » dont nous avons parlé un peu plus tôt, mais en plus, ils vont récupérer encore un peu de matériel grâce au recyclage de ses feuilles tombées au sol ! En effet, après être passées dans les mandibules d’insectes, morcelées et découpées, décomposées en briques élémentaires par les champignons et les bactéries du sol, les arbres pourront récupérer ces nutriments via les racines, et pouf, on est reparti pour un tour !

Vous vous souvenez de vos cours sur lhumus en 6ème? Ce tapis de sol mélangeant feuilles, autres débris végétaux et sol? Cest en fait un composteur géant, grouillant de vie, indispensable au recyclage de la matière.

Vous vous souvenez de vos cours sur l’humus en 6ème? Ce tapis de sol mélangeant feuilles, débris végétaux et sol? C’est en fait un composteur géant, grouillant de vie, indispensable au recyclage de la matière.

Voilà pour la petite histoire de l’arbre caduque en automne. Vous vous demandez peut-être, à la clôture de cet article « mais qu’en est-il des arbres sempervirents? » comme les sapins ou les pins, qui ne perdent pas leurs aiguilles en automne. Eh bien, c’est juste qu’ils n’en ont pas besoin. En raison de la présence de résine (on les appelle résineux, entre autre!), ils résistent très bien au froid, ne risquent pas la cavitation, et n’ont donc pas les mêmes contraintes que les arbres caducifoliés qui n’en possèdent pas ! C’est pourquoi les plus grandes forêts de résineux se trouvent aux hautes latitudes.

Pour conclure sur les sempervirents, voici un sapin de Noël, en vous souhaitant de superbes fêtes de fin d’année ! Nous nous retrouverons en 2016 pour un florilège de sciences !!

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Lydie